Celles et ceux qui suivent de près ou de loin les actualités de CANIDEA ont déjà entendu ces mots un peu effrayants ou tout au moins peu sympathiques : « processus de normalisation européenne ». L’image qui vient alors à l’esprit est l’une des épreuves qu’un célèbre héros gaulois doit subir dans l’album « les douze travaux d’Astérix » : la maison des fous. Mais par Toutatis, comment se fait-ce que CANIDEA se soit lancée là-dedans ?
Qui a eu donc l’idée de « normaliser » les chiens guides et les chiens d’assistance ?
Pour qu’un processus de normalisation soit enclenché au niveau européen, il est nécessaire qu’au moins 5 pays de l’Espace Economique Européen (plus large que l’Union Européenne) soient d’accord pour travailler ensemble et que la majorité des votes soit en faveur de la création du comité technique. Dans notre cas, la Slovénie est à l’initiative de la démarche en collaboration avec la Croatie qui a officiellement envoyé la demande en 2016 aux 34 pays membres de l’EEE. Les pays d’Europe de l’Est ont fréquemment recours à l’échelon européen pour défendre des causes inaudibles à l’échelle nationale. Lorsqu’une norme est reprise dans une directive ou une réglementation, les pays de l’Union Européenne sont contraints dans l’intégrer dans leurs textes nationaux, sauf si ceux-ci sont plus strictes que la norme proposée auquel cas la directive ou réglementation est simplement citée en appui des textes existants ( pour plus d'information cliquez ici). Face à l’absence d’intérêt de leurs gouvernements respectifs, les pays d’Europe de l’Est ont donc mis en place une stratégie de contournement par le haut. En effet, alors que l’accessibilité et le handicap sont des sujets qui suscitent l’attention de l’Union Européenne depuis quelques temps déjà, il n’y a toujours pas de cadre réglementairement défini à l’activité des chiens d’assistance et des chiens guides d’aveugles. Les dés étaient lancés.
Mais, alors, concrètement, une norme, c’est quoi ?
Le processus de normalisation est d’abord un outil pour les industries. En effet, il s’agit d’un accord entre différents parties sur une façon de faire, de sorte à garantir une qualité a minima. La participation au processus est volontaire, de même que l’application de la norme. Cette norme ne devient obligatoire que lorsque des Etats ou l’Union Européenne s’en saisissent et l’imposent par l’intermédiaire d’un texte juridique. Les normes sont présentes dans le quotidien de tout un chacun : par exemple une marque NF (conformité à une Norme Française) sur un jouet pour enfant ou un marquage CE (conformité à une directive européenne) sur une trottinette électrique. A l’échelle internationale, il existe la norme ISO (International Organization for Standardization). Dans chaque pays, un organisme de normalisation est responsable de l'animation et de la coordination du processus d'élaboration des normes européennes et de leur reprise dans la collection des normes nationales. Ces organismes peuvent être des services de l’Etat ou des entités privées ayant reçu délégation de l’Etat. En France, l’Association Française de NORmalisation (AFNOR) assure cette mission.
Lorsqu’un groupe d’intérêt décide d’élaborer une norme européenne, il prend contact avec l'organisme de normalisation de son pays. Celle-ci contacte via le CEN (European Committee for Standardization) l’ensemble des organismes nationaux de l’EEE. L’ensemble des pays intéressés (5 au minimum) se réunissent dans un « Comité Européen de Normalisation ». Chaque organisme national doit mettre en place un comité national, dit comité miroir. Autant au niveau européen qu’au niveau national, les comités doivent faire en sorte de réunir des représentants des producteurs, des industriels, des usagers, des autorités sanitaires, des autorités ministérielles… A l’échelle nationale, chaque comité miroir assied une position nationale sur ce qui est attendu de la future norme. Puis, à l’échelle européenne, les représentants désignés par chaque pays et défendant ses positions doivent se mettre d’accord sur ce même objet. Les échanges du comité européen sont ensuite soumis à distance au vote de l’ensemble des pays, de sorte que chaque comité miroir puisse exprimer librement son avis. On ne rentrera pas dans le calcul complexe du poids des votes, qui varient en fonction de la temporalité du processus. On précisera seulement que le vote sur la version finale de la norme comprend une pondération en fonction du nombre d’habitants du pays et de son appartenance ou non à l’Union Européenne. Des observateurs peuvent être impliqués dans les débats sans avoir de droit de vote. C’est à ce titre que l’International Guide Dog Federation (IGDF) et de l’European Guide Dog Federation (EGDF) sont présents dans le comité européen.
Que fait le comité européen de normalisation ?
La première réunion du CEN TC 452 (ça y est, vous êtes rentrés dans l’intimité du processus) a eu lieu à Zagreb, en Croatie, en décembre 2016. Les experts présents étaient d’origines diverses, comprenant des écoles de chiens guides et de chiens d’assistance ainsi que des maîtres de chiens guides et de chiens d’assistance. La présidence du comité a été attribuée à la Croatie. Après des discussions houleuses, le CEN TC 452 porte l’intitulé « chiens d’assistance », ce terme incluant les chiens guides. Son champ d’application est « la normalisation dans le domaine des chiens d’assistance, des bénéficiaires et des équipes d’éducation ». Il s’agira donc d’établir des normes sur :
- les compétences des chiens en fonction de leur spécialité (éducation et évaluation) ;
- les conditions d’attribution aux bénéficiaires (type de handicap ou pathologie concernée, procédures de demandes et d’attribution, suivi et retraite du chien) ;
- les compétences des éducateurs des chiens.
Les chiens de médiation ont été rapidement exclus du travail de normalisation. Il a cependant été précisé qu’une fois terminé le processus sur les chiens d’assistance, le comité ouvrirait un travail sur les chiens de médiation.
Une seconde réunion à Vienne en Mai 2017 a décidé de la création d’un groupe de travail numéro 1 (GT1) « terminologie », cette décision faisant suite aux difficultés de traduction et d’usages des différents termes. En effet sur les 235 comités européens actuellement actifs, le CEN TC 452 est l’un des plus larges comités avec 20 pays impliqués et 50 experts enregistrés. Les échanges se tiennent en anglais avec la perspective d’une traduction officielle en français et en allemand. Afin de pouvoir dialoguer sereinement, il était donc nécessaire de mettre au clair des éléments de vocabulaire commun à tous. L’animation du groupe de travail terminologie est menée par les Pays-Bas, avec une réunion en décembre 2017 à Zagreb et une en Mai 2018, conjointement avec le CEN TC 452. Ce groupe a établi une liste de vocabulaire, dont les intitulés de chaque spécialité. Ce document de travail sera sujet à évolution en fonction des autres groupes de travail.
A l’occasion de la réunion du mois de mai du CEN TC 452, les experts ont formulé les recommandations suivantes pour la constitution de groupes de travail :
1- Terminologie ;
2- Bien-être du chien durant sa vie ;
3- Compétences pour le personnel professionnel ;
4- Education et méthodes d’évaluation pour chaque type de chien d’assistance ;
5- Services au bénéficiaire ;
6- Accessibilité.
Cet été, les pays participant au processus devront s’exprimer sur cette proposition. Les candidatures à l’animation des groupes seront ensuite ouvertes. Il est possible que le comité français soumette la sienne pour l’animation du groupe de travail « accessibilité ».
Quelles sont les positions du comité français ?
Aujourd’hui, le comité français est constitué des membres actifs suivant :
- Fédération Française des Associations de Chiens guides d’aveugles (FFAC) ;
- Association Nationale des Maîtres de Chiens Guides d’Aveugles (ANMCGA) ;
- Handi’chiens ;
- CANIDEA.
Avant de présenter les positions françaises, il est indispensable de rappeler qu’à ce jour des normes existent déjà par l’intermédiaire des standards élaborées par l’IGDF et l’ADI (Assistance Dogs International). Les écoles françaises de chiens guides et de chiens d’assistance sont parmi les plus anciennes et les plus développées au monde. Les écoles françaises de chiens guides ont participé à la création de l’IGDF et ont donc collaboré à l’élaboration des standards de cette organisation internationale. Handi’chiens est affiliée à l’ADI et respecte donc les standards de celle-ci. Parmi les écoles de chiens d’assistance affiliées à CANIDEA, certaines sont déjà affiliées à l’ADI et d’autres, trop jeunes pour l’être, en appliquent déjà les standards dans la perspective d’une affiliation.
Les positions françaises sont consensuelles sur la nécessité de défendre les standards de l’IGDF et de l’ADI. De même, le comité français affirme qu’il est impossible de confondre dans une seule norme toutes les spécialités de chiens d’aide à la personne : si la normalisation doit aboutir, il est nécessaire qu’à chaque spécialité corresponde à une norme précise.
Et, ensuite, que va-t-il se passer ?
Le processus de normalisation a pour véritable enjeu l’accessibilité. En effet, aujourd’hui, chaque pays qualifie différemment les chiens guides et les chiens d’assistance, avec pour conséquence des complications pour les voyageurs internationaux accompagnées d’un chien guide/d’assistance. Outre les problématiques locales des pays de l’Est pratiquant du lobbying pour une réglementation européenne qu’ils pourraient ainsi faire imposer au niveau national, il existe un enjeu à faire reconnaître un niveau minimum de compétences des chiens guides/d’assistance pour la circulation des maîtres d’un pays à l’autre. Il est donc prévisible que ce processus de normalisation européenne se retrouve sur la table des discussions européennes sur l’accessibilité. CANIDEA ne manquera pas de vous informer des suites de ce long feuilleton européen !
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