Au même titre que les emplois pour les humains, la spécialisation de chien d’aide à la personne exige des compétences particulières et des caractéristiques physiques et comportementales propres à chaque spécialité. Un chien guide, dont on attend un grand calme en toutes circonstances, en particulier dans des environnements hyper stimulants, n’aura pas les mêmes qualités qu’un chien écouteur qui est constamment attentif aux sons et doit distinguer parmi ceux-ci lesquels exigent une réaction de son maître. Or, certaines de ces caractéristiques peuvent être sélectionnées par le biais de la reproduction et d’autres sont acquises par l’apprentissage. Rappelons qu’en France, la loi exige que les chiens d’assistance soient de taille moyenne et n’appartiennent pas aux catégories 1 et 2 pour lesquelles le port de la muselière est obligatoire en public.
Comme vous avez pu le lire dans un précédent article, les premiers chiens guides étaient des chiens militaires allemands qu’un médecin de guerre a éduqués pour aider des soldats devenus aveugles pendant la première guerre mondiale. Jusque dans les années 60, les chiens guides provenaient de refuges avec lesquels travaillaient les écoles de chiens guides (principalement l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suisse et les Etats-Unis). En moyenne, un chien de refuge sur 30 sélectionnés devenait chien guide. Devant ce taux d’échec, les écoles ont compris la nécessité d’être plus spécifiques dans leurs attentes : santé optimale, intelligence, tempérament, intérêt pour le travail… Les premiers programmes d’élevage débutent dans les années 70. Parce que les chiens sont pré-éduqués dans des familles formées à l’éducation canine et que leurs antécédents sanitaires sont connus, les chiens issus d’élevage présentent de nets avantages sur les chiens issus des refuges. Ces derniers, dont le passé est généralement inconnu, ont des risques accrus de problèmes de santé et des comportements qui peuvent être imprévisibles. Or, les équipes maîtres-chiens doivent travailler ensemble pendant des années : il est difficile de se séparer d’un animal que l’on aime. Cela l’est encore plus lorsque ce dernier est notre aide au quotidien. Le choix des écoles s’est donc majoritairement reporté sur les élevages et ces derniers se sont rapidement substitués au recrutement dans les refuges.
En France, en particulier le réseau des élevages des chiens guides d’aveugles, dont fait partie le CESECAH, les éleveurs ont la mission de déterminer les reproducteurs qui donneront naissance aux meilleurs futurs chiens d’aide à la personne. Contrairement aux éleveurs traditionnels qui relèveront des caractéristiques telles que le pointage, le rabattage ou la couleur de la robe (fourrure du chien), les éleveurs de chiens d’aide à la personne portent leur attention sur différentes facettes du tempérament. En effet, les critères physiques du chien guide et des chiens d’assistance sont assez simples : le moins de tares (problèmes) médicales possibles, suffisamment grands pour pouvoir porter un harnais ou saisir des objets en hauteur, suffisamment petits pour pouvoir se glisser confortablement sous le siège de son maître dans le bus ou le train, ... Après avoir dans les premiers temps privilégié le berger allemand, les éleveurs se sont fortement orientés vers les labradors retrievers, mais aussi, dans une moindre mesure, les golden retrievers. Les labradors présentent également l’avantage d’une grande variété au sein de la race : de grands mâles très forts, des femelles solides ou encore des individus plus petits et légers… Cette variété des morphologies répond ainsi aux besoins des maîtres, qui sont tout aussi divers en taille et en poids !
Tous les chiens guides ne sont pas des labradors pour autant : en France où les chiens guides sont approximativement 64% des labradors, 19% des croisés labradors et golden et 5% des golden retrievers, des caniches royaux, des labradoodle (croisement labrador et caniche), et des bergers suisses deviennent également chiens guides. La Fondation Frederic Gaillanne, qui collabore avec l’association canadienne MIRA, travaille avec des St Pierre (croisement de labradors et de bouvier bernois). Dans les pays anglo-saxons où les chiens guides sont en moyenne à 60% des labradors, les maîtres se voient aussi proposés des boxers, des border collies ou même des dobermans !
Les chiens destinés aux personnes à mobilité réduite doivent être d’une taille qui leur permet d’ouvrir une porte sans difficulté. De même, les chiens d’éveil, qui sont remis à des enfants ayant des troubles envahissants du développement ou ont un handicap entraînant des difficultés sociales importantes, doivent être d’une taille rassurant l’enfant psychiquement pour que ce dernier soit mis en confiance pour créer des interactions sociales. En ce qui concerne les chiens écouteurs, le dynamisme de l’animal doit les faire réagir au son quel que soit le moment où ce son est émis. C’est pourquoi en France, l’association des chiens écouteurs privilégie les bergers australiens, race particulièrement réactive.
Les chiens d’alerte pour le diabète ou pour l’épilepsie ne posent pas fondamentalement les mêmes contraintes que ces autres spécialités. En effet, le principal critère de recrutement est la sensibilité olfactive, qui est très bonne chez les labradors et qui l’est également pour d’autres races que celles au museau plat (races brachycéphales). Cependant les critères comportementaux restent importants pour garantir que le chien aura les bonnes attitudes en société. On peut donc trouver une plus grande variété de races dans ces deux spécialités, encore peu présentes en Frances contrairement aux Etats-Unis. Aujourd’hui, l’association ACADIA, qui remet des chiens à des enfants diabétiques, a fait le choix de travailler avec des chiens issus de refuges et avec des chiens réorientés du mouvement chiens guides.
Les compétences des chiens de médiation sont grandement différentes de celles mobilisées par les chiens guides et d’assistance. En effet, il s’agit de caractéristiques naturelles renforcées par l’éducation et d’apprentissage de comportements adaptés au public avec lesquels ils sont amenés à travailler. Les caractéristiques physiques dépendent du projet de médiation. En effet, un chihuahua ou un St Bernard peuvent tous deux être de fantastiques chiens de médiation. Si Canidea ne formule aucune recommandation sur les critères physiques des chiens autre que la bonne santé du chien, elle est en revanche intransigeante quant à la nécessité d’une sélection à partir de critères comportementaux doublée d’une éducation spécifique avant entrée en activité.
Etant donné qu’une grande partie des caractéristiques comportementales recherchées pour les chiens guides et d’assistance sont identiques à celles des chiens de médiation, les chiens issus des élevages du réseau de Canidea peuvent aussi devenir des chiens de médiation. Car, au fur et à mesure de leur éducation, les chiens sont évalués et orientés vers la spécialité qui leur correspond le mieux : cela peut être chien guide, chien d’assistance pour un handicap ou une maladie ou chien de médiation.
Travail effectué à l’international pendant plusieurs décennies, des observations détaillées ont donc été menées sur plusieurs milliers de chiens guides et d’assistance. Ce volume d’informations et la durée de la collecte ont permis aux écoles de classer et de quantifier de manière fiable des caractéristiques comportementales et ainsi de mettre en place une évaluation continue des chiens afin d’affiner la sélection. Le but est de pouvoir mesurer l'héritabilité de caractéristiques importantes d’abord pour les chiens guides (à l’origine de l’initiative et pour le moment le nombre de chiens suivis génétiquement le plus important) mais aussi à termes pour d’autres spécialités.
L’enjeu est de taille car l'engagement financier et social des écoles est conséquent. L’éducation de chaque chien représente des sommes importantes qui correspondent au temps de travail des éducateurs et à l’investissement des bénévoles en tant que familles d’accueil. On comprend donc l’émotion que cela représente pour tous lorsqu’un chien est remis à son bénéficiaire ou lorsqu’il commence à travailler dans un atelier de médiation : il s’agit d’une longue chaîne de solidarité qui aboutit enfin.