Bonjour Fabienne Goutille, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je mène actuellement une recherche en ergonomie pour Canidea. En tant qu’ergonome, je m’intéresse au travail réel, c’est à dire au travail tel qu'il se conçoit et se réalise concrètement. Je cherche à comprendre les stratégies développées par les personnes en activité pour produire et se préserver. Le travail de terrain vise à appréhender les modes opératoires, les engagements corporels et émotionnels, ainsi que les outils et ressources mobilisés et mobilisables en situation, pour répondre aux objectifs fixés et résultats attendus dans le milieu investi.
Je pratique la recherche-intervention en sciences humaines et sociales. En ce sens, mes travaux consistent à la production de connaissances qui visent avant tout à répondre aux enjeux et préoccupations qui animent les collectifs que j’accompagne.
Comment êtes-vous devenue chercheure-intervenante en sciences humaines et sociales ?
Après plusieurs années d’étude en ethnologie, sociologie des organisations et coordination de projets, j’ai travaillé 7 années dans l’humanitaire pour Handicap International. Mes missions en tant que coordo-Anthropologue étaient axées sur la prévention des risques et la santé des populations, notamment en relation avec les dangers liés aux mines anti-personnelles. Ce qui me passionne, et qui fait le lien avec mes travaux de recherche actuels, ce sont les risques invisibles, comment prévenir un risque qui ne se voit pas ? Ce parcours, m’a amené à construire des projets dans différents pays, tels que le Kurdistan, le Pakistan, l'Afghanistan, la Cote d’Ivoire, le Sénégal, le Tchad, le Népal, la Chine et d’autres encore. Je suis comme qui dirait une globe- trotteuse, qui rêve d’un jour mettre les pieds en Océanie, sur les îles Trobriand.
Formée en 2014 par le professeur Alain Garrigou à l’ergotoxicologie, je travaille depuis avec lui au sein de l’équipe EPICENE de l’INSERM à l’université de Bordeaux, laboratoire par lequel j’ai été accueillie pour réaliser ma thèse en ergonomie qui s’intitule : "Ne plus ignorer les agriculteurs. Contribution de l’ergonomie à la prévention du risque pesticides en viticulture". En parallèle des projets que nous menons dans le but de réduire les risques chimiques et promouvoir la santé au travail, je dirige ma propre entreprise La Fabrique Ergo, et suis chercheure-associée au sein de l’équipe ETTIS d'INRAE. C’est d’ailleurs au sein d’ETTIS, avec Jacqueline Candau que j’ai effectué en 2022 un post doctorat sur les conditions de vie au travail et hors travail des saisonniers migrants en France, ceci avant de participer au travail pour Canidea.
Quel est votre travail au sein de la recherche Marie Thomas portée par Canidea et l’université de Bordeaux ?
Aujourd’hui, j’accompagne Canidea dans l’élaboration et la réponse à une question tout autant cruciale qu’innovante, portée depuis de nombreuses années dans la commission certifications et procédures de Canidea : comment appréhender le bien-être au travail des chiens d’aide aux personnes ?
Comment vous y prenez-vous ?
Je fais le tour de France des associations membres de Canidea pour analyser l’activité de travail des chiens. Je m’intéresse aux interactions entre chien et humain, de l’apprentissage à
la vie active du chien jusqu’à son passage à la retraite. J’observe et je filme les situations de travail :
- En EHPAD et maisons d’accueil spécialisé, dans les activités de médiation canine,
- En centre d’éducation / à l’école lorsque les chiens apprennent à devenir guides d’aveugles, chiens d'assistance écouteurs pour personnes sourdes et malentendantes ou encore chiens d’assistance pour diabétiques
- Dans la vie quotidienne des personnes en situation de handicap pour observer le travail réalisé entre humains et chiens
Je cherche à comprendre comment les chiens réalisent leur activité de travail, c’est à dire, ce qui leur est demandé et ce que ça leur demande en termes de mobilisations physiologiques et mentales. J’analyse les objectifs qui leur sont fixés et la manière dont leurs sens sont mobilisés ou inhibés dans chacune des activités. Les échanges avec certains des experts de la commission certifications et procédures m’aident beaucoup à appréhender le comportement des chiens et à caractériser leurs signaux d’apaisement.
À quoi cela va-t-il servir ?
Le but de ce premier Tour de France est d’avoir des éléments à proposer à la commission procédures et certifications de Canidea pour accompagner ses membres dans l’élaboration de critères communs et spécifiques quant au travail bien fait et au bien-être au travail des chiens. Les analyses de l’activité réalisées, les photos, vidéos et autres systèmes de mesures, serviront d’objets intermédiaires de dialogue entre les membres.
Un humain doit pouvoir se sentir bien pour jouer son rôle d’accompagnant. Il n’est plus à prouver que si ce qu’on lui demande est trop dur physiquement ou n’a pas de sens, il ne peut pas tenir au travail sans développer de pathologies.
En considérant les chiens comme des travailleurs, on ne peut laisser de côté les questions relatives à leur bien être lors de leurs activités.
Les premières observations sont riches, elles montrent comment certains environnements de travail permettent à des chiens de développer des stratégies de préservation de soi.
Le mot de la fin est à vous
Mener cette recherche-intervention avec Canidea est une expérience formidable. Côté intervention, je contribue à intégrer des critères de santé au travail dans la réalisation des activités humain-chien. Côté recherche, le travail avec les chiens m’amène à développer de nouvelles techniques d’observation intégrant les non-humains dans l’analyse de l’activité et la conception du travail.
Merci de m’avoir reçue et merci aux associations membres de Canidea pour leur collaboration.